Interpréter le Voyageur dans trois épisodes de Star Trek : La Nouvelle Génération fut le point d'orgue de la carrière de comédien d'Eric Menyuk. Et cela l'aida à surmonter sa déception, lui qui n'avait pas réussi à décrocher le rôle d'un des personnages les plus populaires de la série : le Lieutenant-Commander Data. Il avait auditionné dans ce but à plusieurs reprises.
Eric Menyuk : « Lors de ma première audition, on m'a dit, en somme, que je ne faisais absolument pas l'affaire. Puis, deux ou trois semaines plus tard, on m'expliqua que le concept du personnage avait changé. Je remis donc cela... »
Audition pour le rôle de Data
Eric Menyuk : « Je me rappelle que la dernière fois, je me suis présenté aux studios de la Paramount avec Brent Spiner! Nous sommes entrés ensemble dans la caravane et avons passé quelques minutes avec le réalisateur du pilote, avant d'aller passer l'audition. C'était drôle, chaque fois que je revenais tenter ma chance, il y avait encore plus de monde. Et le dernier jour, la salle était carrément comble ! Cela m'intimidait un peu parce que j'avais grandi avec la série classique de Star Trek dont j'étais tombé fou amoureux. Quand j'allais au collège à Boston, où j'avais vu Gene Roddenberry, je m'étais même rendu à des conventions. Alors, me retrouver maintenant à auditionner pour lui avait de quoi m'exciter ! J'adorais cette idée. Ne pas réussir à décrocher le rôle en fin de compte fut probablement l'une des plus grosses déceptions de ma carrière d'acteur ! »
Eric a par ailleurs déclaré que si le rôle de Data lui avait échu, il aurait sans doute interprété l'androïde de façon légèrement différente.
Eric Menyuk : « A la réflexion, Brent Spiner ne joue plus son personnage comme dans la première saison. Et si j'ai fait cette observation par le passé, c'est sans doute parce que Brent et moi sommes des personnes très différentes, et qu'un comédien apporte toujours beaucoup de lui-même à son interprétation du moment. Cela dit, Brent a fait un sacré beau boulot! Après cette dernière audition, on m'avait notamment demandé si me raser la tête m'ennuierait.
Ayant une calvitie déjà assez prononcée, cette perspective ne me posait pas de problème. Mais naturellement, après un Capitaine chauve, un androïde chauve par-dessus le marché, cela aurait fait trop ! Au début du moins, je pensais le jouer un peu moins humain, disons comme un androïde qui aspire à devenir humain, mais qui reste à côté de la plaque. Brent a été inégalable là-dessus, mais je crois que j'aurais un peu plus accentué cet état de fait. Alors, bien sûr, à personnes différentes, styles différents. Et, j'insiste là encore, Brent a fait un travail merveilleux. »
Au fil des sept saisons de STNG, le Voyageur a fait trois apparitions très espacées. On le découvrait pour la première fois dans « Où l'homme dépasse l'homme ». Et là, il n'y avait pas eu de longue audition pénible, se souvient Eric.
Eric Menyuk : « On m'a contacté pour le rôle, et en fait, on me l'a presque donné d'emblée. A l'époque, rien n'avait été diffusé sur les ondes, et c'était très amusant parce que tout le monde était nouveau et développait encore son personnage, s'ingéniant à résoudre les petits problèmes, tous ces concepts profonds de l'art de l'interprétation qui sont progressivement relégués au second plan au fil des ans... Je me suis très bien entendu avec l'équipe. Et surtout, je l'avoue, avec Wil Wheaton !
Parce qu'à l'époque, ce jeune garçon et moi avions le même niveau de maturité ! Bien sûr, il a grandi et est devenu adulte, mais moi, je n'ai pas changé ! La plupart de mes scènes se déroulaient avec Patrick Stewart et lui. C'était merveilleux d'avoir un partenaire aussi généreux et compréhensif que Patrick. Il avait d'excellents petits trucs pour le jeune comédien que j'étais alors.
Ce fut une expérience géniale. On s'amusait bien, même si rien n'était encore acquis. Aucun épisode n'était passé à la télé, et tous ces gens avaient bien conscience que l'aventure pouvait rapidement tourner court. Or, pour la plupart d'entre eux, à l'exception de LeVar [Burton], ce devait être leur grande percée. Personne ne sachant quel accueil le public réserverait à cette nouvelle série, il y avait beaucoup de nervosité dans l'air. »
Eric était dans l'ensemble ravi de son rôle du Voyageur, ayant toutefois quelques petites réserves à propos de son apparence physique, même si le maquillage à proprement parler ne lui posait pas de problème.
Eric Menyuk : « Comme je l'ai souvent dit, quitte à passer quatre heures sur un siège à se faire coller du latex sur le visage, autant être avec Michael Westmore ! Voilà quelqu'un qui a les pieds sur terre, et qui est d'une compagnie fort agréable. Il y a eu un soupçon de querelle (pas entre lui et moi, en définitive, ce fut probablement la décision des producteurs) mais j'avais imaginé le Voyageur comme une entité très éthérée, et eux décidèrent de l'affubler de ces trois gros doigts boudinés! C'était d'ailleurs la partie la plus simple du déguisement, consistant en des gants de caoutchouc qu'on met et qu'on enlève. Quitte à modifier mes mains, j'avais toujours rêvé de longs doigts fins et racés... »
En dépit de cette décision, Eric fut très impressionné par le soin que les producteurs apportèrent à la création du personnage.
Eric Menyuk : « Juste après que j'eus obtenu ce rôle, Bob Justman, qui était à l'époque producteur, m'appelle chez moi pour discuter de mon rôle et me demander ce que j'en pense, alors que, dans le monde de la télé, laissez-moi vous dire que c'était sans précédent. En général, vous y allez, vous auditionnez, vous vous présentez sur le plateau de tournage, vous faites votre boulot et vous rentrez chez vous. Un autre épisode venait de se terminer, dans lequel Armin Shimerman avait incarné un Ferengi, je crois qu'il était le premier à apparaître sur le petit écran. Je l'ai croisé tandis que je venais me faire maquiller, nous en avons parlé et, tous les deux, nous avions eu une expérience très comparable.
Les gens qui avaient créé cette série, Gene, Bob et Rick [Berman] avaient intérêt à ce que tout soit fait et bien fait. Une expérience insolite... et qui m'a hélas gâché la suite, dans la mesure où j'ai cru à l'époque que le petit monde de la télévision était génial et qu'on s'intéressait sincèrement à votre art de jouer... Imaginez ma profonde déception lorsque je suis redescendu sur terre ! »
Alors que le Voyageur n'apparaissait que dans trois épisodes, son comportement évolue de façon perceptible au fil du temps.
Eric Menyuk : « Dans mon premier épisode, j'avais vraiment la notion de ce que cet extraterrestre faisait de son temps. Pour moi, cet intellectuel explorait la Galaxie, observait et contactait des individus particulièrement doués, dont il aidait ensuite à développer tout le potentiel. Voilà, à mon sens, ce qui le motivait : une curiosité phénoménale. Je me représentais cette communauté de Voyageurs un peu comme des missionnaires. Et lui était si différent de ma propre personnalité que je me suis vraiment amusé à l'interpréter, grave, réservé, l'esprit mûr...
Mais dans le deuxième épisode ["Souvenez-vous de moi"], on désirait qu'il soit un peu plus autoritaire, à la façon d'un Obi Wan Kenobi. Il a donc évolué, et j'ai dû ajuster mon concept du personnage en fonction des besoins du scénario. Pour le premier en tout cas, je savais parfaitement d'où il venait, ce qui le motivait... et pourquoi il aimait porter des habits matelassés en argent ! Habituellement, j'aime déterminer comment un personnage occupe l'espace, comment il s'approprie physiquement son environnement, et ainsi de suite. De mon point de vue, le Voyageur est quelqu'un qui aimerait autant passer inaperçu. Il se tient toujours un peu sur la touche, en retrait, sans bouger. Il regarde, il observe. Comme je le disais, il est l'exact opposé de ce que je suis ; j'aime investir une pièce de ma présence, alors que lui ne demande qu'à se fondre dans le décor! Il semble glisser plutôt que marcher. Étant un parfait empoté, j'ai essayé dans la mesure du possible de donner cette impression en tout cas. Et au lieu de cette combinaison argentée, je l'aurais bien vu porter la robe, pour ma part. Oui, j'aurais dû en avoir une et glisser sur des patins à roulettes ! »
L'apparition finale du Voyageur fut pour « La fin du voyage », la septième et dernière saison de La Nouvelle Génération, où il invite un Wesley Crusher troublé à le suivre dans son exploration de la Galaxie en se servant pleinement de ses dons exceptionnels.
Eric Menyuk : « J'avais une très courte apparition et, d'ailleurs, je ne crois pas avoir visionné l'épisode entier ! », avoue Eric.
Si interpréter un rôle dans Star Trek : La Nouvelle Génération lui a plu, Eric demeure à la base un fan inconditionnel de la série classique, la plaçant largement au-dessus de toutes celles qui ont suivi.
Eric Menyuk : « Ma première mauvaise expérience à Hollywood, ce fut de ne pas comprendre pourquoi la série ne passait plus à la télévision. Au fil des ans, bien sûr, le chagrin et la douleur se sont estompés, mais le souvenir reste très vivace dans ma mémoire! A l'époque passait la série Les Mystères de l'Ouest, je crois, et c'étaient mes deux programmes favoris, la science-fiction et un western, tout ce qui me fait oublier la réalité... Alors, quand tous les deux ont disparu du petit écran, j'ai été un petit garçon dévasté... »
Parallèlement à Star Trek et après, Eric a poursuivi avec succès sa carrière d'acteur, avant de décider finalement de passer à autre chose, en se reconvertissant comme juriste.
Eric Menyuk : « Comédien depuis dix ans, je gagnais bien ma vie en vérité, grâce en grande partie aux publicités que je tournais, et j'adorais toujours la scène. Chaque fois que je remontais sur les planches, j'étais aux anges. Mais vous ne pouvez pas à long terme assurer votre avenir de cette façon. Ce qui m'a motivé, c'est quand ma femme m'a annoncé qu'elle était enceinte de notre premier garçon. Et alors même que j'avais du travail, ce n'était pas si génial que cela somme toute, dans la mesure où il n'existait pas de véritable développement des personnages, au contraire du travail scénique.
Puis j'ai eu un rôle dans un film, et je me suis expatrié au Canada quelques semaines. C'était un bon rôle dans une production amusante, pourtant je n'en garde pas de si bons souvenirs. A la même époque, je me produisais aussi dans des pièces de théâtre. Je m'étais lancé dans l'aventure avec des amis. Et là encore, j'ai eu une cruelle déception car, en fait, beaucoup d'acteurs de Los Angeles font du théâtre rien que pour mieux attirer l'attention sur leurs films, une opération de prestige en quelque sorte... Et c'était très différent de mon expérience, sur la côte Est, où l'on fait du théâtre vraiment par amour du théâtre. Du coup, j'en suis venu à m'avouer que ma passion du métier, mon amour de l'art de jouer, m'avait quitté. Je n'avais plus le feu sacré.
D'ailleurs, un comédien que je connaissais, qui avait fait en son temps un tabac à la télévision, traversait une période de vaches maigres. Il avait dans les 55 ans et n'arrivait plus à décrocher de rôles. Ses problèmes financiers n'en finissaient plus, il nageait dans le stress... Alors là encore, je me suis dit que quand j'aurais son âge, je ne voulais pas me retrouver dans cette situation, à courir désespérément après de quoi survivre. Je désirais une vie stable pour ma famille! »
Grâce à ses apparitions à diverses conventions et au fait d'être resté en contact avec d'autres acteurs, Eric a su préserver des liens avec La Nouvelle Génération. En dépit de son amour fou pour Star Trek classique, il aimait bien cette première série dérivée.
Eric Menyuk : « J'appréciais vraiment LNG, confirme-t-il. Je n'en ai regardé que vingt-cinq ou trente épisodes, probablement, mais par manque de temps plutôt que par pure désaffection. Je dois dire qu'ils m'ont tous plu, pratiquement, en raison des merveilleux personnages qu'ils mettaient en scène. Rien que les voir vivre à l'écran, c'était déjà super ! Les producteurs ont créé des êtres de chair et de sang, auxquels le public pouvait s'identifier, pas seulement s'agissant des rôles récurrents, mais aussi ceux des vedettes invitées. Dès le départ, on avait apporté énormément de soin à cette série. Et cela a payé ! »