Bien des gens ont contribué au succès de STAR TREK, mais tous travaillaient dans l'univers de Gene Roddenberry. STAR TREK était sa création, une création imprégnée de sa vision unique d'un avenir meilleur.
Dans les années 1920, par un beau jour d'été en Californie, des gamins jouent au ballon en braillant. Caché dans un carton que sa mère lui a donné, Gene les entend. Tout petit déjà, il ne se sent pas réellement comme les autres. Calme, réservé, il déteste se battre. Les Roddenberry sont pauvres, alors il n'a pas beaucoup de jouets. Mais c'est un rêveur né. Parfois, il lit ; parfois il s'imagine être un pilote fonçant dans le ciel.
Un jour d'automne, en 1991, les présentateurs de journaux télévisés du monde entier annoncent : Gene Roddenberry, le créateur de Star Trek, est décédé. En Amérique, nul n'ignore ce que cela signifie. La création de Gene a imprégné la culture populaire comme personne n'aurait pu l'anticiper, offrant au monde une vision de l'avenir brillante et vibrante d'espérance.
Début du voyage
Quand Gene Roddenberry se mit à développer Star Trek, il n'avait aucune idée de l'importance que prendrait son oeuvre. Sa veuve, Majel Barrett Roddenberry, se souvient qu'il s'y connaissait très peu en science-fiction : « Il avait lu quelques livres, et en savait à peu près autant que vous et moi ! » Mais il était un scénariste TV reconnu, qui collaborait régulièrement à des westerns, des policiers et des séries militaires, vétéran décoré de la guerre et ancien membre des forces de police de Los Angeles, Gene connaissait bien ces domaines.
Mais ses expériences lui avaient montré les limites de la télévision des années 1950 et 1960. S'il gagnait bien sa vie, il tenait à ce que son oeuvre ait une portée. Il s'y était efforcé en créant la série Le Lieutenant, qui abordait des thèmes difficiles, comme le conflit en Asie du Sud-Est. Mais la censure et le réseau s'en prirent à lui. Et Majel se souvient que la série ne marchait pas : « Tout le monde s'était dit que ce serait une bonne série de guerre, que ça tirerait dans tous les sens. Mais Gene se faisait une autre idée du corps des Marines. Il voulait montrer la réalité de la vie des Marines à travers l'histoire d'un jeune homme. C'est ce qu'il a fait, et ils n'ont pas apprécié.
Le problème n'avait rien de nouveau pour Gene. Son amie Nichelle Nichols (qui allait plus tard incarner Uhura) se rappelle qu'il réfléchissait constamment à la façon d'aborder les questions difficiles que la télévision cherchait à éluder : « C'était un homme profond et plein de compassion. Il parlait toujours d'une série qui donnerait à voir l'expérience humaine. Je me souviens qu'il envisageait de se tourner vers la science-fiction et de mettre en route une sorte de convoi pionnier vers les étoiles. »
Tout le monde s'accorde à dire que la véritable raison pour laquelle Star Trek attirait tant Gene était que ça lui permettait d'aborder tout ce qu'il voulait, en étant très peu inquiété par la censure. « Nous vivions une époque incroyable, raconte Majel, et ils l'empêchaient d'aborder quoi que ce soit. Ils l'empêchaient de parler du problème Blancs/Noirs, ou même de l'amour maternel, grands dieux ! Mais il a su traiter ces questions sous un autre angle.
Il leur a donné des monstres, a affublé les acteurs de costumes et de maquillages étranges, et là, il a pu tout se permettre. Les censeurs n'y comprenaient rien, alors ils ont laissé faire. Avec tous les événements qui secouaient le monde, Gene s'était juré de livrer le fond de sa pensée. »
Chef d'équipe
Mais monter une série télévisée exige plus que de bonnes intentions. Un producteur doit réunir une équipe de collaborateurs talentueuxet lui fournir d'excellentes conditions de travail. Quand NBC commandita enfin Star Trek, Gene déploya tout son talent pour y parvenir.
II recruta le gros de son équipe parmi des gens qui attendaient encore la chance de leur vie, comme le producteur associé Robert H. Justman, qui avait été assistant réalisateur, le directeur artistique Matt Jefferies, qui avait été dessinateur, et la scénariste Dorothy Fontana, qui avait été sa secrétaire. Tous firent leurs preuves avec éclat, et poursuivirent une carrière couronnée de succès dans l'univers de la télévision.
Un homme brillant
L'excellence de son équipe prouve que Gene savait apprécier les gens à leur juste valeur. Comme Bob Justman le raconte, Gene avait une façon bien à lui de mener les interviews :
- «J'ai fait sa connaissance dans son bureau. Il m'a fait entrer, asseoir, et s'est mis en devoir de parler de tout sauf de Star Trek ! J'ai découvert un homme des plus insolites. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme lui. II était de toute évidence brillant et hors du commun. »
Gene était aussi doué dans la distribution des rôles, et en réunissant l'équipage de l'U.S.S. Enterprise NCC-1701, il sut déceler tout le potentiel d'un acteur. Leonard Nimoy se souvient d'avoir été contacté après que Gene l'eut vu jouer dans un épisode du Lieutenant.
- « Il avait regardé aussi un épisode du Jeune docteur Kildare dans lequel j'avais joué. Mon personnage était très extraverti, très désinvolte et égocentrique. Il m'avait également vu jouer dans un rôle diamétralement opposé : un amoureux de poésie très introverti. Gene m'a dit que l'opposition des deux personnages l'avait frappé et qu'il pensait que je serais parfait dans la peau de Spock. Il était brillant et savait parfaitement ce qu'il voulait faire. Il était aussi charmant et avait de bonnes idées sur ce que le personnage devrait être. »
Leonard ne fut pas le seul à tomber sousle charme de Gene : « Il était délicieux parce qu'il savait écouter. Il lisait tout le temps, se souvenait de ce qu'il avait lu et savait l'utiliser. C'est pour cela qu'il semblait tout savoir sur tout dans Star Trek », raconte Majel.
Conseils et confiance
Cette capacité d'écoute se conjuguait à un empressement à se fier aux gens, qui en faisaient un collaborateur agréable pour les chefs de départements. Matt Jefferies explique :
- « Les producteurs ignorent très souvent ce qu'ils veulent jusqu'à ce qu'ils l'aient sous les yeux, ce qui provoque des pressions inutiles. Gene nous faisait confiance et nous fichait la paix. Si nous n'étions pas d'accord, nous coupions la poire en deux, mais nous nous entendions très bien. Je ne pense pas que notre relation aurait pu être meilleure. »
Le décorateur John Dwyer précise que cela ne signifie pas que Gene se laissait faire. En réalité, il savait exactement ce qu'il voulait :
- « Personne ne disait non à Gene. Personne. Il contrôlait la série et, en ce qui me concerne en tout cas, il avait raison 99 fois sur 100. »
Durant les années 1960 cependant, faute d'un public assez large pour reconnaître les qualités de STAR TREK, la série était continuellement menacée d'arrêt. Elle ne réussit à tenir une troisième année que grâce au soutien épistolaire sans précédent des fans.
Au début de la troisième et dernière saison, se remémore Majel, Gene était plein d'espoir, et déterminé à rendre la série encore meilleure. Mais le désastre frappa avant même le début de la saison. « On nous avait donné un bon créneau horaire, le lundi ou le mardi à
20 heures. Gene et moi sommes partis à Faim Springs en moto. Il allait travailler et rapporter huit scripts merveilleux. Mais nous étions à peine arrivés qu'il reçut un appel de NBC. Le type lui a dit, "Gene baby – ce genre de début annonce toujours un coup de grâce –, nous avons un nouveau créneau horaire génial : nous allons vous mettre le vendredi à 22 heures" C'était moins pire que le dimanche à deux heures du matin, mais tout le monde sort le vendredi soir. Qui reste à la maison pour regarder une série télévisée, pour l'amour du ciel ? Bref, nous avons compris que nous allions quitter l'antenne.»
A la fin de Star Trek,Gene s'attela à d'autres projets, dont le long métrage Si tu crois, fillette, avec Rock Hudson. Il ne se doutait pas que Star Trek reviendrait au goût du jour et, au début des années 1970, il s'attacha à d'autres séries, dont Genesis II et The Questor Tapes.
À sa manière
Aucune d'elles ne dépassa le stade du pilote, pour plusieurs raisons. Comme Majel l'explique, la moindre n'était pas que Gene avait beaucoup de mal à se plier à la politique des studios : « Ce n'était pas toujours facile de travailler avec Gene. II voulait faire les choses à sa manière. Il tenait à dire ce qu'il pensait. Il voulait parler avec des gens intelligents, brillants. Comme vous et moi.
Et croyez-moi, il se fichait pas mal que ça plaise ou non. Il voyait les choses différemment, et voulait les projeter à sa façon. Sur Questor Tapes par exemple, on ne cessait de lui dire qu'il devait changer ceci, modifier cela... Un jour, Gene en a eu assez et il est parti. C'était devenu une question de principe. Quand on commençait à lui dire ce qu'il devait faire, il se dressait sur ses ergots et répondait que ça se ferait à sa façon, car c'était ainsi qu'il voyait les choses. Ça le mettait en conflit avec pas mal de gens.»
Le miracle
À la même époque, quelque chose de merveilleux se produisit : après sonannulation, Star Trek avait été vendu en syndication et remportait un immense succès. Gene lui-même était sidéré ! Mais Majel rappelle qu'il ne pouvait rien tenter pour faire revivre Star Trek en tant que série télévisée. Il continua donc à développer d'autres projets. II tenait aussi à prouver qu'il n'était pas « le prodige d'un jour » ; il ne voulait pas que son épitaphe se résume à « Gene Roddenberry, créateur de Star Trek ». II désirait accomplir davantage.
Mais cinq ans après la fin de Star Trek, Gene n'avait toujours pas réussi à persuader qui que ce soit de soutenir sa vision et de lancer une nouvelle série.
Collaboration
Peu après, un jeune auteur nommé Jon Povill commença à travailler pour Gene. Selon Jon, c'était la vision unique de Roddenberry qui lui mettait des bâtons dans les roues à la télévision. Créer une série télévisée est inévitablement un processus de collaboration, un travail d'équipe. En d'autres termes, les compromis sont inévitables. Les gens réunis doivent renoncer à certaines de leurs idées afin de parvenir à une vision commune. Le problème tenait au fait que la vision de Gene n'appartenait qu'à lui. Autrement, les séries comme Star Trek seraient monnaie courante. Gene savait qu'il avait souvent raison quand les autres avaient tort, il lui était donc difficile de savoir à quel moment prêter l'oreille à ceux qui critiquaient son oeuvre.
Jon ajoute que Gene avait un lien émotionnel très fort avec tout ce qu'il écrivait, et qu'en dépit de tous ses succès, il pouvait manquer d'assurance. « La force motrice de tous ses écrits était toujours la même : il voulait prouver qu'il était un véritable auteur. En réalité, pour démontrer qu'il était un écrivain digne de ce nom, il aurait dû écrire un livre. Mais à supposer qu'il ait remporté l'adhésion des gens qui comptaient àses yeux, je ne pense pas que ça aurait fait une quelconque différence, car l'insécurité était en lui, et rien n'aurait pu changer ça. »
Majel convient que Gene manquait d'assurance. « II se délectait du succès de Star Trek. Après s'être fait à l'idée, il l'a acceptée avec joie. Mais dans tous les autres aspects de la vie, il était très humble et peu sûr de lui. J'ignore pourquoi. Je ne pense pas qu'il y voyait lui-même un manque d'assurance. Il devait seulement se dire que c'était dans sa nature, et voilà tout.»
Renaissance de Star Trek
En 1974, alors que la popularité de Star Trekne montrait aucun signe d'affaiblissement, Paramount persuada Gene de revenir au studio travailler au retour de la série. Le projet était en mutation constante, tantôt film, tantôt série, tantôt suite de téléfilms. Plusieurs scripts de films furent rejetés avant qu'on décide finalement que Star Trekrenaîtrait sous forme de série télévisée. Toute la distribution d'origine àl'exception de Leonard Nimoy était prête à revenir tourner, et Gene se remit au travail avec une équipe de scénaristes, dont Jon Povill, promu analyste des scénarios et le producteur Harold Livingston.
Faisant preuve d'un courage et d'une perspicacité remarquables, Gene accepta le fait que Star Trek devait évoluer. « A aucun moment il ne s'est agi d'une sorte d'abattage mercenaire, assure Jon. Tout le monde s'efforçait sincèrement de faire mieux que l'original. Gene tenait vraiment àréinventer Star Trek . Le monde avait changé, et Star Trek devait changer aussi. II y avait un côté "j'ai été ici, j'ai fait cela ; OK, cette fois, on va s'y prendre autrement" Et puisque Léonard n'était pas là, Gene allait montrer au monde que nous n'avions pas besoin de Spock. En fait, Star Trek: Phase II a autant en commun avec La Nouvelle Génération qu'avec la série classique. »
Vision directrice
À l'instar de ses prédécesseurs, Jon découvrit que Gene avait d'extraordinaires aptitudes de producteur. « Gene était un merveilleux producteur. Il avait une vision globale de ce que les choses devaient être et savait donner des lignes directrices en veillant à la cohérence de la série. Il savait aussi sur quoi faire porter l'accent : les gens, plutôt que la technologie. Il disait toujours que c'étaient les gens et les choix difficiles auxquels ils étaient confrontés qui comptaient. II savait nous le demander, et nous faire toucher du doigt ce vers quoi nous devions tendre. »
Jon ajoute que Gene restait convaincu de la nécessité d'aborder des sujets délicats.
- « L'idée de prêteràla controverse lui plaisaitparticulièrement. Il voulait franchir les limites afin de susciter la discussion. Il pensait que l'art devait diriger, être d'avant-garde, faire sensation et provoquer le débat. »
Finalement, à la suite du succès de La Guerre des étoiles et de Rencontres du troisième type, Paramount abandonna l'idée d'une série et commandita un long métrage Star Trek à gros budget. Gene travailla au scénario avec Harold Livingston et produisit le film. A sa sortie, en 1979, il remporta un succès sans précédent. La création de Gene avait encore changé les règles : c'était le premier long métrage à succès fondé sur une vieille série télévisée, et il ouvrit la voie àdes dizaines de films du même type, des Incorruptibles à Mission impossible.
Alors que les années 1970 touchaient à leur fin, la santé de Gene commença à se détériorer. « Au début, c'étaient des petites misères, se rappelle Majel, puis vint le diabète, puis ça, et encore ça... Un déclin constant. »
L'industrie de la télévision et du cinéma est exigeante, et les producteurs travaillent couramment 18 à 20 heures par jour. Dans son état, Gene ne pouvait en aucun cas tenir ce rythme de fou. Après le premier film, il renonça ànombre de ses tâches, préférant agir en tant que consultant tandis que d'autres se chargeaient de travailler sur les films suivants.
Retour à la télévision
Néanmoins, quand Paramount décida que le moment était propice au lancement d'une nouvelle série Star Trek avecune distribution entièrement renouvelée, Gene accepta de reprendre le chemin du studio. Il commença à constituer son équipe àla fin de 1986, recrutant plusieurs vétérans Star Trek , dont D. C. Fontana, Robert Justman, Eddie Milkis et David Gerrold, qui, jeune homme, avait écrit «Tribulations ». Comme toujours, Gene s'intéressait aux nouveaux talents et il adjoignit à l'équipe les producteurs/auteurs Robert Lewin et Herb Wright. Une série de séances de réflexion leur permit de définir la composition de l'équipage, et Gene peaufina sa vision du futur.
De nombreuses personnes contribuèrent à la renaissance de Star Trek , et les membres de l'équipe firent maintes suggestions que Gene accepta. Mais Herb Wright se souvient que Gene avait toujours le dernier mot, reprenant les meilleures idées et les façonnant en un tout cohérent.
Il ne fait aucun doute que Gene s'inspira largement de ce qu'il avait réalisé dans les années 1970 pour constituer la base de sa nouvelle série Riker et Troï sont des versions retravaillées de Decker et Ilia, et Data ressemble furieusement à l'androïde Questor. En outre, Gene adhérait sans réserve à l'idée qu'au XXIVe siècle, l'humanité aurait beaucoup évolué. En dépit des nombreuses protestations de ses scénaristes, il insista pour qu'il n'y ait aucun conflit personnel entre les membres de l'équipage.
Une vision plus pure
Selon Majel, si la nouvelle série était indéniablement du Star Trek, elle différait notablement de la série classique et était une déclaration plus pure de la vision de Gene.
«J'aime penser que la série classique correspondait à l'idée que Gene se faisait des attentes du public dans le domaine de la science-fiction. Avec La Nouvelle Génération, il disait : "C'est comme ça que les choses se passeront" II a toujours pensé que la seconde série était meilleure que la première. »
Gene prouva aussi qu'il n'avait rien perdu de son talent pour la distribution, et une nouvelle troupe d'acteurs eut l'occasion de succomber à son charme. Patrick Stewart se rappelle avoir rencontré le grand homme peu avant le début du tournage. « Je devais dîner avec Gene pour débattre de La Nouvelle Génération . II a parlé de golf pendant tout le repas. Juste avant de partir, il a sorti une pile de livres et m'a dit : "Voilà, tout ce dont vous aurez besoin est là-dedans." II s'agissait de la série des Horatio Hornblower de Forester. »
Jonathan Frakes, quant à lui, garde le souvenir d'un Gene à la présence stimulante qui savait insuffler à la série son intrépidité et son énergie. « A mon avis, Gene était un libéral dans le meilleur sens du terme. Il aimait ce qui était plus grand que nature. Il n'avait pas peur du global et de l'universel, et son énergie était contagieuse. Il savourait son succès et restait fidèle à ses convictions quant au message que la série devait véhiculer. »
Marina Sirtis se rappelle Gene avec beaucoup de tendresse. Elle venait d'arriver d'Angleterre et avait relativement peu d'amis à Los Angeles.
« Majel jouant ma mère, nous nous sommes rapprochées, et je suis devenue en quelque sorte une "Roddenberry honoraire" J'étais invitée à Noël, à Thanksgiving et aux réunions familiales. J'en suis donc venue à connaître Gene hors du plateau mieux que sur le plateau. Son intelligence et son sens de l'humour très impertinent, voilà ce dont je me souviendrai toujours à son propos. »
Gene Roddenberry, Goerge Takei, Joe Motes, Majel Berrett, James Doohan, Denise Crosby
Santé déclinante
La santé de Gene était devenue un problème grave. Elle le mettait dans l'incapacité de travailler normalement. Son état le frustrait énormément ; il lui était difficile – sinon impossible – de conserver la clarté qu'il avait toujours tenue pour acquise. Au début de la première saison, il travailla aux scénarii ; il développa notamment le premier jet écrit par Dorothy Fontana pour « Le mystère Farpoint », y ajoutant le personnage de Q, et, dans une série de réunions informelles, il introduisit plusieurs idées primordiales, dont celle d'une race d'insectes voraces qu'il appela Borgs. Mais à ce stade, Gene n'était plus en état de finaliser lui-même un scénario, et il laissait à d'autres le soin d'exploiter ses idées afin de produire des intrigues et des personnages pleinement développés.
II confia la plupart de ses responsabilités de producteur à Rick Berman, certain que celui-ci dirigerait la série à sa façon. Au milieu de la saison, il renonça également à la réécriture quotidienne des scripts, se bornant à livrer ses commentaires à ses collaborateurs.
Une équipe fiable
Selon Patrick Stewart, Gene put agir ainsi parce qu'il avait réuni une équipe de choc dont il appréciait les points forts. « Gene avait une foi immense en ceux qui travaillaient autour de lui, en Rick Berman et en tous les acteurs. Il lui arrivait de descendre sur le plateau rien que pour nous voir à l’œuvre. Il aimait observer le déroulement des opérations, et nous nous sentions très soutenus par sa présence. »
Un modèle d'inspiration
Jonathan Frakes ajoute que Gene réussissait à inspirer les acteurs par sa vision extraordinaire du futur. « Il m'expliquait comment serait le XXIVe siècle avec tant de passion et la prunelle si pétillante que j'y croyais. Son enthousiasme vis-à-vis de l'avenir était communicatif. C'était un grand homme et j'ai beaucoup de chance de l'avoir connu. »
La vision intensément personnelle que Gene avait de Star Trek posait cependant des problèmes aux scénaristes. Nombre d'eux eux essayaient d'écrire le même genre d'intrigues qu'au temps de Kirk, de Spock et de la série classique, mais Gene les rejetait au motif qu'il y avait trop de frictions entre les personnages. La formule se cristallisa à la troisième saison, avec l'arrivée du producteur exécutif Michael Piller. Celui-ci se souvient que sa vie devint plus simple le jour où il comprit pleinement ce que Gene désirait.
Les règles de Gene
« Gene avait une vision limpide du futur. Dans l'épisode « Filiation », il est question d'une mère, officier de Starfleet, qui est tuée et qui laisse un enfant. Dans le script original, l'orphelin est dévasté par sa mort. Se sentant coupables, les aliens responsables du décès fournissent une mère de substitution qui n'est pas réelle. L’enfant doit apprendre à distinguer ce qui est réel de ce qui ne l'est pas, et ainsi de suite.
« Gene a dit : "Cette histoire ne fonctionne pas parce qu'au XXIVe siècle, les humains acceptent le fait que la mort fait partie de la vie. L’enfant ne peut pas être dévasté" Je me suis dit, partons du principe que l'humanité a appris à ne plus redouter la mort et que le deuil n'est plus acceptable. Pour que l'orphelin parvienne à se couper de sa mère de substitution, il va falloir qu'il surmonte des siècles de conditionnement et qu'il ait une réaction émotionnelle au décès maternel. Quand je lui ai fait part de mes réflexions, Gene m'a dit "C'est bien ; c'est en accord avec ce que je souhaite, et ça emmène l'intrigue dans une voie inattendue." Franchement, l'histoire y gagnait en intérêt, et nous forçait à être plus inventif, plus créatif ; le ressort dramatique était meilleur. »
Fort des directives de Gene, Star Trek : La Nouvelle Génération remporta un immense succès, prouvant sans l'ombre d'un doute que l'excellence de Star Trek n'avait pas été le fait du hasard. La nouvelle série pulvérisa nombre de records et ouvrit la voie àdes dizaines d'autres séries de science-fiction.
Durant la troisième saison, la santé de Gene empira. Il ne quittait plus son fauteuil roulant et Majel dut affronter le fait qu'il restait peu d'espoir de guérison. « J'ai demandé plusieurs fois au docteur "Est-ce que Gene va mourir ?" II m'a regardée et m'a dit "Oui" J'imagine que je n'ai pas voulu le croire, car je lui ai reposé la question trois ou quatre fois par la suite. J'attendais qu'il me réponde "Non, pas s'il fait ceci ou cela." Mais ça n'a pas été le cas. »
Gene mourut le 24 octobre 1991, pendant une visite chez ses médecins. Il passa ses ultimes instants la tête blottie dans le giron de sa bien-aimée Majel.
Peu avant son décès, Rick Berman et Michael Piller lui avaient fait part de leurs plans pour une troisième série télévisée, qui devait s'intituler Star Trek : Deep Space Nine. Gene savait qu'il laissait un héritage appelé à perdurer et comprenait que Star Trek évoluerait encore. « Il aurait fait les choses différemment, sourit Majel, mais il était le premier à admettre que chacun avait une approche différente. »
Les cendres de Gene Roddenberry furent dispersées dans l'espace par la navette Columbia. Un honneur auquel il aurait été très sensible, estime Majel. « Si Gene vivait encore aujourd'hui, il serait particulièrement fier d'une chose merveilleuse : l'ensemble de ce que nous avons accompli dans le domaine spatial. Il aurait adoré ça. Il n'aurait rien aimé tant que partir dans l'espace. »
Résumer la vie et l’œuvre de Gene Roddenberry tient de la gageure. Comme l'exprime Patrick Stewart, c'était un homme beaucoup moins simple qu'il n'en avait l'air. « Gene était un individu très complexe. A première vue, il donnait l'impression d'être un homme ordinaire, facile à déchiffrer. Mais rien n'était plus faux. Je ne crois pas qu'il ait jamais voulu paraître trop grave ou passionné, c'était pourtant le fond de sa nature. »
Gene Roddenberry, Echo des factions, STSF
Un optimisme tenace
Après leur longue vie commune, Majel pense détenir la clé du succès de Gene et de Star Trek. Et il n'y a rien de sombre ou de mystérieux à cela, dit-elle.
« Tout le monde me demande ce que Star Trek avait de si différent. II n'y avait qu'une chose réellement différente. Le mal affrontait le bien et le bien gagnait, comme partout. Mais quelle que soit la nature des problèmes évoqués, Gene parvenait à y inclure son optimisme, afin que tout le monde comprenne qu'il y a toujours un lendemain meilleur, plus doux et plus radieux. »